Equinoxes - A graduate journal of French and Francophone Studies - Issue 4
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Return to Equinoxes, Issue 6: Automne/Hiver 2005-2006
Article ©2006, Hélène Marineau

 

Hélène Marineau, Rutgers University / Université de Paris 8

LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE  : GUERRE DE LA REPRÉSENTATION ET REPRÉSENTATION DE LA GUERRE

Premier roman de Robert Louis Stevenson, Treasure Island (1881) est un véritable manifeste littéraire1, une réponse à l’arrogance des propos théoriques d’Emile Zola qui avait tout bonnement proclamé, quelques années auparavant, la mort du « roman de pure imagination »2. Stevenson reproche à Zola, en particulier, et aux romanciers réalistes, en général, de définir le roman par son mode de représentation3. Parodie évidente du réalisme, la carte de « Treasure Island »4 exhibe l’insularité de l’univers fictionnel, la parenthèse temporelle qu’elle ouvre dans le temps de l’expérience individuelle, la possibilité d’une vie imaginaire.

Le Chant de l’équipage (1917)5, premier roman de Pierre Mac Orlan, s’inscrit de par son titre dans la lignée du roman stevensonien. On peut s’étonner que Mac Orlan publie un « roman d’aventure » tout juste un an après Le Feu, Journal d’une Escouade de Henri Barbusse, prix Goncourt 1916 et « roman de guerre » qui fixe les règles du genre6. Mais, à bien y regarder, derrière Le Chant de l’Equipage se profile un « roman de guerre » pour le moins surprenant. Disciple de Zola, Barbusse entend proposer un témoignage historique dont le caractère fictionnel est un mal nécessaire à la dénonciation de la guerre. Tandis que Stevenson défendait le roman dans toute sa diversité, dans le contexte historique de la Grande Guerre, Mac Orlan semble avant tout préoccupé par le pacte communicationnel qui se noue autour du roman entre écrivain et lecteur et qui entérine un brouillage entre fiction et réalité.

Or, un récit « historique », qu’il soit collectif ou autobiographique, est basé sur des faits vérifiables, des documents officiels et ne se lit en aucun cas comme un roman. Ainsi que le démontre Jean-Marie Schaeffer dans Pourquoi la Fiction ? même le lecteur le plus « naïf » connaît les codes de l’univers fictionnel et l’entrée dans le roman impose la pratique de la feintise ludique partagée7. Dans Le Chant de l’Equipage, il s’agit de dénoncer la « supercherie littéraire »8 qui consiste à faire passer un vrai document fictionnel pour un vrai document historique afin de mieux éluder la question de la fictionnalité dans le roman. Mac Orlan s’interroge sur les raisons qui sous-tendent l’acceptation d’un tel consensus tant par un auteur que par un lecteur alors même que l’expérience de lecture vient démentir les présupposés théoriques. Quels sont les véritables enjeux de cette « supercherie» officiellement consacrée par un prix littéraire ? A quoi sert d’écarter la fiction ?

Sur le ton de la parodie, Mac Orlan met en scène un couple de personnages donquichottesques9, Joseph Krühl et Samuel Eliasar, image miroir d’un pacte auteur-lecteur « naturaliste » scellé autour d’une fausse carte. En amont, Mac Orlan s’intéresse à la possibilité de ce pacte, il tente d’en définir la nature, de démontrer que le brouillage entre représentation historique et fictionnelle trouve son origine dans un rapport problématique à la représentation de soi, qui motive un rapport à l’autre et au monde. En aval, Mac Orlan dresse le tableau d’un monde dans lequel récit fictionnel et historique seraient véritablement indécidables et en explore le fonctionnement.

Représentation fictionnelle de soi

Le Chant de l’Equipage s’ouvre sur Joseph Krühl, riche hollandais10, qui hante de sa présence un petit village de Bretagne littéralement vidé de sa substance par la Grande Guerre. Du passé de Krühl nous ne saurons rien : en 191611, il n’existe plus au monde que par un récit impossible de lui-même, forgé au fil de ses lectures. Comparé aux habitants de ce village côtier, il a beaucoup lu : essentiellement des textes ayant trait à l’histoire de la flibusterie, « les ouvrages d’Oexmelin, du capitaine Johnson, de Whitehead et de quelques autres auteurs »12 et un peu de poésie baudelairienne. Piochant de-ci, de-là des images, il se tisse une identité imaginaire qui se surimpose à celle de bourgeois désoeuvré sans pour autant la remettre en question. Sorte de pirate textuel, Krühl aborde tous les textes écrits sous le même angle et confond pillage de textes et imagination.

Insatisfait de son récit autobiographique, il pense trouver l’expression de sa singularité individuelle en faisant de représentations relevant du domaine public un trésor personnel. De toute évidence, nier le caractère fictionnel de son histoire lui sert à masquer son incapacité à produire un récit original qui remette en circulation des modèles narratifs tant historiques que littéraires. De toute évidence, Krühl se méprend sur ce en quoi consiste l’expression de son individualité dans le cadre fictionnel et sa volonté de (re)produire un monde livresque reflète un rapport romanesque à soi et au monde qui mène potentiellement à la dissolution de son identité individuelle.

Le rapport à soi n’est pas sans conséquences sur les rapports interpersonnels. Derrière le vieil homme aux lubies enfantines se dessine un tyran anti-démocratique qui concentre dans ses mains pouvoirs culturels et financiers et qui profite de la guerre pour imposer sa représentation du monde à ceux de l’arrière. En effet, pour donner une certaine réalité à ses fantasmes, Krühl a besoin d’oreilles bienveillantes. Or, les circonstances historiques lui prêtent main forte : dans le village déserté, il est la principale source de revenu pour les rares locaux ayant échappé à la mobilisation générale. Sous couvert de générosité, il s’achète l’auditoire de l’arrière et se paye le luxe de lui imposer le silence quant à la nature fictionnelle de ses représentations. Derrière le personnage de Krühl, on voit déjà poindre un renversement parodique de Henri Barbusse, qui justifie implicitement un mode de représentation dépassé par le contexte historique, et par extension s’esquisse une parodie de sa conception de l’espace fictionnel ainsi que de la définition de l’individu dans le « roman de guerre ».

Faire de la fictionnalité un enjeu négatif sert donc à masquer un désir profondément anti-démocratique de la part du conteur et a pour conséquence de limiter la circulation et la diversité des représentations du monde. Mac Orlan entend mettre à nu les jeux de pouvoirs qui se cachent derrière la mise à l’écart de la fiction. On entrevoit déjà que le véritable enjeu réside moins dans une description du monde, ou de la guerre que dans une guerre larvée de la représentation menée en amont du roman.

Guerre des représentations

Afin d’approfondir les perspectives déjà esquissées, Mac Orlan propose de déplacer le point de vue en donnant au vieil hollandais un double négatif. Petite frappe parisienne, venue se mettre au vert, et réfléchir à un moyen rapide de se refaire une situation financière, Samuel Eliasar se vit comme un gangster de haute volée. Tandis qu’il erre sur la lande bretonne, tentant d’oublier l’extrême précarité de sa situation financière, il est littéralement rattrapé par elle. En effet, il se laisse surprendre par la Marie du Faouët, mendiante de la lande, qui lui renvoie une image frappante de sa propre condition. Ignorant l’existence de cette légende locale au don d’ubiquité littéralement déroutant, Eliasar échoue à reconnaître la nature fictionnelle de ce personnage. Hanté par ce double inavouable, il est soudain pris d’une envie de meurtre qu’il parvient à contrôler en lui opposant l’apparente gratuité de l’acte13. Ce retournement gidien14 le propulse aux pieds de Krühl qui le sauve des eaux. Eliasar ne pouvait tomber plus à pic dans la vie de Krühl qui, on s’en doute, saisit cette occasion unique pour transposer et justifier son modèle narratif par les événements historiques.

De prisonnier de son identité imaginaire, Eliasar devient prisonnier de l’histoire krülienne. Le Hollandais substitue au simple récit de faits un récit qui exploite la déchéance physique et morale d’Eliasar, et qui, corrélativement, lui permet de se présenter en sauveur de l’humanité. En creux apparaît à nouveau une critique de la posture barbussienne15. Ce déplacement du récit donne lieu à un récit anti-démocratique, Eliasar n’étant pas en mesure (vu sa situation personnelle et celle historique) de proposer une autre représentation de lui-même. Mais il entend bien rendre la monnaie de sa pièce à « son sauveur »16 en le lançant dans une chasse à son propre trésor. Aussi met-il dans les mains du riche hollandais une carte au trésor de sa composition. La « supercherie littéraire » 17 conçue par Eliasar produit un cadre fictionnel qui remplit un triple objectif : d’une part, lui permettre de renverser le rapport de force avec Krühl et d’assurer sa fortune ; d’autre part, déplacer et assouvir l’envie de meurtre qui l’avait taraudé sur la lande sans en assumer les conséquences ; enfin, réaffirmer son identité d’aventurier mise en doute par l’apparition de la mendiante.

Ecrivain faussaire, plagiat inconscient de romans (d’aventure), Eliasar fait surtout preuve d’une grande prouesse technique en produisant un texte dont la ressemblance avec un document authentique repose sur la qualité du support papier et de la graphie. Se moulant aux attentes d’un lecteur en particulier, Eliasar se voit contraint de « recréer » un modèle narratif périmé, dont la seule innovation réside dans l’invention d’un type de discours à l’authenticité invérifiable, un certain parler flibustier, par ailleurs au cœur de Treasure Island. Tandis que Stevenson invente un langage poétique, Eliasar se contente d’une manière de parler imagée des plus grossières dans laquelle on aperçoit le reflet du « parler poilu », marque de fabrique DuFeu18. Le roman barbussien apparaît alors comme une littéralisation du roman stevensonien.

Tandis que Stevenson met la carte de « Treasure Island » en regard du roman, ne laissant planer aucun doute quant à son caractère fictionnel, Mac Orlan renvoie auteur et lecteur à leurs responsabilités respectives. S’il revient à l’écrivain de mettre en avant la fictionnalité du roman, le lecteur doit quant à lui statuer par et pour lui-même sur la nature du document qui lui est soumis et sur l’usage qu’il doit en faire. Si Krühl décide de se lancer dans une chasse au trésor, ce n’est pas à cause de l’hypothétique authenticité du document, mais uniquement parce que la carte semble redonner une forme contemporaine à ses fantasmes romanesques, par ailleurs dépassés. A travers la carte, Mac Orlan dédouane la littérature de la responsabilité qui lui est souvent impartie : le texte littéraire ne motive en aucun cas le rapport du lecteur à sa vie imaginaire. En revanche, le rapport du lecteur au texte reflète un rapport individuel à l’imaginaire qui précède et dépasse le cadre littéraire.

Le détournement de l’écrit, tant par Eliasar que par Krühl, réside dans leurs motivations personnelles, dans une incapacité à percevoir leur individualité en dehors d’une identité imaginaire. Un tel comportement pousse à un conflit dont l’enjeu est le contrôle de la représentation de soi dans le monde. Nos deux « auteurs » donquichottesques partagent la même conception du texte littéraire qui donne naissance à une communauté suicidaire où l’expression de l’individualité n’admet pas de concurrence.

La chasse au trésor rendue possible par la mise en abyme de la représentation réaliste dans le roman d’aventure annonce un déplacement ou plutôt la possibilité d’une superposition effective entre univers fictionnel et réel. En partant à la recherche de son propre trésor, Krühl se donne involontairement les moyens de plonger au cœur du brouillage entre fiction et réalité et d’aller voir plus avant les conséquences politiques de ce brouillage. De Krühl à Eliasar, il ne s’agit plus simplement de la mort symbolique de l’individu « démocratique » mais de la mort programmée de l’être humain.

Représentations de la guerre

Pour Krühl et Eliasar, atteindre l’île signifie, d’une part, faire l’expérience d’un monde à leur image, et, d’autre part, plonger au cœur de l’univers fictionnel du roman d’aventure. L’île sur laquelle ils débarquent ressemble étrangement à un décor de théâtre, et, contrairement à leurs attentes, elle n’est pas déserte. Jonchée de boîtes de conserves, seule source d’alimentation sur ce bout de terre stérile, l’île est habitée par trois hommes, un « Annamite » et un Africain  « abominablement amputé[s] »19, personnages dont le mutisme semble aller de pair avec la perte de leur intégrité physique, et un Russe. Seul habitant à avoir gardé forme humaine, le Russe fournit aux nouveaux arrivants un récit qui explique l’état de faits. Ce personnage tout droit sorti de Heart of Darkness20 donne à entendre une réalité « inimaginable » : l’île appartiendrait à un Chinois, maître dans l’art de la torture, qui utiliserait son île comme réserve de matières premières sur lesquelles pratiquer et enseigner son art. Vu sous cet angle, le démembrement humain exemplifié par ses deux compagnons d’infortune apparaît comme indispensable à l’évolution d’un art basé sur la cruauté. Le maître de l’île est une mise en abyme des identités imaginaires de Krühl et d’Eliasar, et l’art de la cruauté nous renvoie bien sûr à une conception littérale de la doctrine naturaliste, vidée de tout symbolisme. Or, cette conception apparaît soudain irréconciliable avec la société démocratique : ce qui revient à dire que, dans une société donnée, la conception de l’art est à l’image de la société dans laquelle elle s’inscrit. Au final, le roman d’aventure nous permet de saisir un reflet de la réalité contemporaine dans la conception barbussienne du roman.

Manifeste pacifiste, Le Feu s’achève sur un hymne à la lutte des classes, sur l’espoir d’une internationale des soldats qui se dresseraient contre les bourgeois orchestrateurs et profiteurs de guerre. Tout le roman tend vers ce retournement paradoxal de la guerre contre elle-même en créant un nouveau rapport de force qui justifie implicitement la raison d’être de la guerre. Le projet d’Eliasar n’était qu’un écho possible de celui de Barbusse qui utilise le roman comme une tribune politique. Le détournement de la fiction lui permet de ne pas assumer la subjectivité de sa représentation, de la présenter comme un état de faits, et ce, dans le but d’avoir un impact sur l’organisation du monde réel. Le parler poilu, marque de fabrique du « roman de guerre », dont Barbusse a fait la pierre de touche de l’authenticité de son récit s’effondre. Il n’a jamais eu pour objectif de donner une voix aux millions de soldats anonymes21, c’est une « prouesse » de style qui sert son argument politique22. Aussi, dans Le Feu, le poilu fait-il une deuxième fois l’expérience de la dissolution de la notion d’individu sur laquelle reposait son identité narrative, une fois dans la réalité « inimaginable » de la guerre et une fois dans le « roman de guerre ». En partant à la recherche de la fiction dans le « roman de guerre », Mac Orlan nous laisse entrevoir la nature de la réalité contemporaine : un monde où les représentations historiques sur lesquelles la société démocratique était basée se révèlent être des représentations fictionnelles, fruits d’une malhonnêteté intellectuelle motivée par un désir d’imposer un point de vue unique23.

Au contraire, dans le Chant de l’Equipage, Mac Orlan nous donne à entendre un hymne véritablement pacifiste dans lequel il redéfinit la fonction sociale du roman et en réaffirme le caractère éminemment politique. A bien y réfléchir, l’expérience du simple poilu ne s’apparente-t-elle pas à celle de ces hommes méconnaissables, réduits à l’état de « chose », que l’on ne peut regarder sans éprouver un profond dégoût24 ? Ne réside-t-elle pas dans le fait de vivre dans sa chair une réalité « inimaginable », d’habiter au cœur de l’horreur ? Si cette expérience laisse sans voix, c’est que l’horreur relève de l’indicible et ne peut être représentée que par des images littéraires, ainsi que l’avait déjà démontré Conrad25. Le roman mac orlanien nous tend un reflet du roman et du monde à travers la multiplicité des représentations qui en existent déjà et propose de nouvelles images dans lesquelles il s’agit de reconnaître le reflet de la réalité contemporaine non par similitude ou par identification mais par différence, par déplacement, par écho.

A la fin du roman, le lecteur est libre de choisir l’impasse ouverte par Krühl, Eliasar et Barbusse ou de suivre l’équipage qui s’éloigne de l’île, le trésor en poche. Tandis qu’Eliasar et Krühl restent prisonniers d’un espace insulaire dont ils ont par ailleurs mutuellement définis les règles, une nouvelle communauté se forme autour d’un chant poétique, texte évocateur qui tient dans son cercle tout un imaginaire transnational et quasi universel. Le chant mac orlanien déplace l’image de l’île stevensonienne pour mettre en valeur la fonction sociale du roman et son caractère politique. Le chant est un espace de rencontre et de partage à partir duquel se construit une communauté. Il revient à chaque membre de proposer une interprétation personnelle du chant qui puisse se fondre dans le chœur des voix. Hymne démocratique, le chant n’existe que dans et par une pratique à la fois individuelle et collective de la littérature. Plutôt que de proposer une définition a priori de l’individu démocratique, Mac Orlan en propose une pratique dans et par le texte littéraire.

Conclusion

Dans Le Chant de l’Equipage, Mac Orlan rend un bel hommage à ses maîtres en aventure. Il répète le message déjà martelé par Stevenson : le roman est une longue-vue aux propriétés étonnantes qui permet de se dédoubler et de s’observer à distance (ce dont Krühl et Eliasar sont parfaitement incapables). Moyen d’observer l’Homme en chacun de nous, la mise en abyme romanesque nous invite à rechercher l’expression de notre individualité moins dans ce en quoi nous nous distinguons de la condition humaine que dans ce en quoi nous y participons. Autrement dit, le roman nous fait la proposition paradoxale de saisir le singulier dans l’universel, et vice et versa, seule garantie d’un rapport démocratique à soi.


Hélène Marineau  prépare actuellement une thèse sur "le concept d'aventure dans la prose narrative française du XXème siècle". Elle navigue entre littérature anglaise et française et tente de démontrer qu'il existe, contrairement aux idées reçues, un roman d'aventure français qui s'inscrit dans la lignée de Stevenson et de Conrad. Ses recherches l'ont menée de Robert Louis Stevenson, à Marcel Schwob, en passant par Pierre Mac Orlan et André Gide, bien sûr Blaise Cendrars, sans oublier les postmodernes, Jean Echenoz et Pierre Michon.  A travers le roman d'aventure, c'est à une conception du roman qu'elle s'intéresse, conception qui met en avant la fonction sociale et politique du roman et envisage la fiction comme un moyen cognitif indispensable à nos schémas représentationnels.


Notes

1 Dans son introduction aux Essais sur l’art de la fiction de Robert Louis Stevenson, Michel Lebris affirme que Treasure Island « fut bel et bien publié, aussi, comme un manifeste littéraire, accompagné, encadré, prolongé par cinq essais, On the Morality of the Profession of Letters, en 1881, A Gossip on Romance, en 1882, A Note on Realism, en 1883, A Humble Remonstrance, en 1884, On Some Technical Elements of Style, en 1885 », et que ces essais « constituent probablement la réflexion la plus originale de l’époque sur l’art du roman –dont le modernisme, encore aujourd’hui étonne. » (8)

2 Voir « Le Roman Expérimental » (1880).

3 « The Humble Remonstrance » que Stevenson adresse à Henry James, en réponse à « The Art of Fiction », n’a pas d’autre objet.

4 Selon la volonté de Stevenson, la carte de « Treasure Island » figure en paratexte et offre ainsi un miroir du roman à venir. Ainsi, d’entrée de jeu, le roman d’aventure stevensonien parodie les prétentions réalistes (représentation visuelle, scientifique, ayant un référent dans le monde réel) tout en réaffirmant que le roman a pour fonction première de servir de point d’ancrage à l’imaginaire du lecteur.

5 Paru en feuilleton dans J’ai Vu (octobre-décembre 1917), Le Chant de l’Equipage est publié quelques mois plus tard avec des illustrations de Gus Bofa par l’Edition Française Illustrée.

6 L’année précédente, le prix Goncourt avait été décerné à Gaspard de René Benjamin, premier roman de guerre aux accents propagandistes. Dès sa sortie, Le Feu de Barbusse devient la référence à l’aune de laquelle s’écriront beaucoup d’autres « romans de guerre », et ce, jusqu’au Voyage au Bout de le Nuit (1932) de Louis Ferdinand Céline.

7 Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, 1999 : « la fonction de la feintise ludique est de créer un univers imaginaire et d’amener le récepteur à s’immerger dans cet univers, elle n’est pas de l’induire à croire que cet univers imaginaire est l’univers réel. » (156)

8 Pierre Mac Orlan, Le Chant de l’équipage, Paris, Folio, Gallimard, 1923, p.75.

9 Dès les premières pages, Joseph Krühl est comparé à « l’ingénieux gentilhomme de la Manche » (39).

10 La nationalité de Krühl l’associe au personnage du Hollandais Volant, dont on trouve les premières traces littéraires chez Heinrich Heine. Plusieurs versions circulent mais toutes mettent en scène, un riche armateur hollandais qui ayant défié ou voulu se substituer à la justice divine, se voit condamné par Dieu à errer entre le monde des morts et celui des vivants. La nationalité de Krühl augure de son parcours.

11 p.42

12Op. cit., p. 39

13 Rétrospectivement Eliasar tente de rationaliser sa réaction lors de cette rencontre : « On ne tue pas pour rien, pensait-il. Pourquoi aurais-je tué cette femme ? » C’était l’effort disproportionné qui l’avait désarmé dans cette histoire. » (70)

14 Cette parodie de l’acte gratuit de Lafcadio LLuiki/Baraglioul est l’occasion de rappeler au lecteur que Les Caves du Vatican (1914), et par extension le roman d’avant guerre, s’inscrit dans la perspective du roman d’aventure et non dans celle du roman naturaliste. Pour plus de détails sur l’influence du roman d’aventure de langue anglaise sur la conception gidienne du roman, je renvoie à l’étude de Kevin O’Neill, Gide et le Roman d’Aventures, Sydney, Sydney University Press, 1969.

15 Dans Les Poissons morts (1917), témoignage historique atypique et pendant indispensable au Chant de l’Equipage, Mac Orlan qualifie d’indécente la représentation de la déchéance humaine, c’est-à-dire de scènes de combats, de corps déchirés, de misère morale. Or, c’est précisément ce que Barbusse décrit à longueur de pages dans Le Feu, jouant sur le pathos de la situation pour mieux amener son lecteur à adopter son point de vue final.

16Op.cit. p. 69.

17Op.cit., 75. C’est ainsi qu’Eliasar définit son projet.

18 Dans Propos d’Infanterie, Mac Orlan décrit ce parler poilu comme « une facilité de langage qui fit le succès des premiers livres de la guerre ».

19Op.cit., p.209.

20 L’Annamite démembré est une image miroir du maître de l’île et un clin d’œil au Jardin des Supplices (1899) d’Octave Mirbeau ; l’Africain est le pendant du Russe et renvoie à Heart of Darkness (1902) de Joseph Conrad. Rappelons que, dans ce roman, le Russe au costume d’Arlequin est en quelque sorte l’ombre de Kurtz, le seul écho qui subsiste de son identité dissoute.

21 Dans un chapitre intitulé « Les Gros Mots », l’un des personnages demande au narrateur s’il aura le courage de reproduire leur parler. Le narrateur lui répond : « je mettrai les gros mots à leur place, mon petit père, parce que c’est la vérité. » Et le poilu de commenter ; « Veux-tu mon opinion ? Quoique je ne m’y connais pas en livres : c’est courageux, ça, parce que ça s’fait pas, et ce sera très chic si tu l’oses, mais t’auras de la peine au dernier moment, t’es trop poli ! C’est même un des défauts que j’te connais depuis qu’on s’connaît. Ça, et aussi cette sale habitude que tu as quand on nous distribue de la gniole, sous prétexte que tu crois que ça fait du mal, au lieu de donner ta part à un copain, de la verser sur la tête pour te nettoyer les tifs. »

22 Dans Voyage au Bout de la Nuit (1932), Céline donnera une véritable leçon de style à Barbusse en créant un argot véritablement poétique. Soulignons que Mac Orlan est un des rares auteurs vivants que Céline daigne citer.

23 Paradoxalement, Barbusse est un pacifiste déclaré.

24Op.cit, p.209.

25 Partant du témoignage historique, Mac Orlan en arrive à la même conclusion dans Les Poissons morts, par ailleurs écrit en parallèle du Chant de l’Equipage.

 

Bibliographie

Barbusse, Henri. « Le Feu », Les Grands Romans de la Guerre 14-18. Paris : Omnibus, 1994.

Conrad, Joseph. Heart of Darkness. London : Penguin Books, 1999.

Mac Orlan, Pierre. Le Chant de l’Equipage. Paris : Gallimard, 1923.

Stevenson, Robert Louis. Essais sur l’Art de la Fiction. Ed. Le Bris, Michel. Paris : Payot, 1992.

---. Treasure Island . Oxford : Oxford University Press, 1985.

Schaeffer, Jean-Marie. Pourquoi la Fiction. Paris : Seuil, 1999.