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Return to Equinoxes, Issue 5: Printemps/Eté 2005
Article ©2005, Béatrice Rafoni

Béatrice Rafoni, Université Paul Verlaine-Metz

Une ville fantasme : Tokyo dans la fiction francophone contemporaine

En japonais, Tokyo signifie littéralement “ capitale de l'Est ”, un nom qui marque une double transformation : le passage de l'ancienne capitale impériale et shogunale Kyoto à un nouveau pouvoir, ainsi que le changement du nom de la ville d'Edo. cette transformation est éminemment symbolique car elle intervient au moment de l'entrée du Japon dans l'ère Meiji (1868-1912) qui voit l'ouverture du Japon à l'Occident après deux siècles d'isolationnisme, la fin du pouvoir féodal des seigneurs de la guerre, la restauration du pouvoir impérial et la modernisation du Japon. C'est de cette époque que datent, dans les arts et la littérature (chez les impressionnistes, Emile Zola ou les frères Goncourt), les premières représentations du Japon en France, représentations sur lesquelles vont se développer le courant esthétique du japonisme au 19 e siècle.

En français, la polysémie du mot “ capitale ” - le substantif désignant ville principale, concentrant les pouvoirs de l'état et les instances nationales, et l'adjectif qualifiant le primordial ou le décisif - s'accorde parfaitement aux représentations contemporaines de la ville de Tokyo, horizon fantasmatique du 21 e siècle et parangon de la modernité urbaine. Outre sa réalité physique, Tokyo est devenu, dans la fiction francophone, la métaphore absolue du Japon, en forme de synecdoque de l'ultra-modernité nipponne. C'est à travers cette figure de la ville capitale que nous proposons d'explorer les représentations littéraires de Tokyo, et ainsi d'approcher les nouvelles images du Japon en France..

C'est dans la littérature que se développent les nouvelles images de la ville de Tokyo ; nous avons constitué un corpus d'étude de ces images sur différents critères : reconnaissance du public (en terme de chiffre de vente, de prix ou de notoriété), qualité d'ouvrage de fiction dont la diégèse est tokyoïte et contemporaine, et enfin traitement volontairement descriptif et réaliste de cet univers diégétique par rapport à son univers réel de référence, le Japon. Tous ces ouvrages se présentent comme des passeports pour l'archipel, sur lesquels un lecteur profane ou novice de la chose nipponne peut fonder un savoir et une expérience. Ces romans sur le Japon contemporain, dont l'action est sise à Tokyo, se font ainsi les lieux où s'élaborent les représentations qui vont devenir, par leur récurrence, des topiques japonisantes françaises, ou plutôt devrait-on dire francophones, vu que notre corpus comporte des œuvres d'auteurs belges d'expression française : Faire l'amour de Jean-Philippe Toussaint et Stupeur et tremblements d'Amélie Nothomb 1. Par ailleurs, les autres ouvrages relèvent - fait notable - du genre policier, comme La crucifixion en jaune de Romain Slocombe 2, ou, affichant dans leur titre leur sujet symbolique, Tokyo des ténèbres de Viviane Moore et la trilogie d'Anne Rambach : Tokyo chaos , Tokyo atomic et Tokyo mirage . On remarque d'ailleurs une tendance prépondérante à l'adjonction d'un qualificatif au nom de la capitale suggérant l'inquiétude, le confus, le désordonné, le danger ou encore le caché.

Par recoupement entre ces différents romans “ tokyoïtes ”, on peut observer des figures ou des éléments revenant comme des antiennes dans la littérature exotique japonisante et, une fois ces éléments repérés, en proposer une typologie selon leur fonction littéraire : une première vision, que nous qualifierons d'ensemble, qui fait de Tokyo un décor de fond (comme le grand plan cinématographique) et une seconde, qui se focalise, tel un insert, sur des personnages-types. Tokyo la mégalopole, tentaculaire, surpeuplée et désordonnée, se présente comme l'addition de multiples quartiers forts différents les uns des autres, formant au final un ensemble juxtaposé, caractérisé par son anarchie architecturale et son absence de plan urbain concerté. Dans cette diversité et ce foisonnement de décors possibles, c'est sur deux quartiers précis que va se fixer le regard français, celui de Shinjuku, (le “ monde flottant ” de la nuit et des plaisirs) et celui de Shibuya (cœur commerçant et passant de la ville). Une caractéristique de cet espace urbain est sa saturation : saturé de gens (la foule), de signes et surtout de lumières. Les néons et enseignes lumineuses de Shinjuku, comme les écrans géants de Shibuya, sont devenus les images les plus populaires et les plus courantes de Tokyo. Le lecteur les trouve dépeints dans tous ces romans, mais c'est la description de Jean-Philippe Toussaint, extrêmement littéraire et travaillée, que nous citerons :

Partout, sur la grisaille des façades encore nappées d'obscurité, brillaient des enseignes de néons imbriquées et superposées, un enchevêtrement de panneaux où couraient des inscriptions en katakanas, d'indéchiffrables colonnes d'idéogrammes qui se mêlaient parfois à quelques caractères familiers, tels ceux d'une enseigne publicitaire géante fixée au flanc d'une passerelle métallique qui surplombait l'avenue et attirait l'œil par sa saisissante injonction : VIVRE. (77)

Plus que le quartier lui-même, c'est la déambulation nocturne en son sein qui forme le passage obligé du romancier et de son personnage, perdu dans la foule, assailli par les sources lumineuses et cependant incapable de déchiffrer les écritures japonaises.

Par ailleurs, si cette description, ou mention littéraire, devient topique par récurrence dans l'établissement du décor de la fiction, il est intéressant de noter que le regard du personnage narrateur sur le décor est lui aussi intégré à la fiction. Dans Stupeur et tremblements , la jeune Amélie est embauchée par une entreprise tokyoïte : elle assouvit sa fascination du vide en contemplant, à travers les baies vitrées de l'immeuble ultra-moderne de la compagnie, le paysage qui bée sous elle, et en jouant à se “ défenestrer ”, c'est-à-dire à s'imaginer tomber. Cette scène forme les bornes et le leitmotiv du roman puisqu'elle ouvre, ponctue et clôt le récit de sa période d'embauche, du premier jour :

Le 8 janvier 1990, l'ascenseur me cracha au dernier étage de l'immeuble Yumimoto. La fenêtre, au bout du hall, m'aspira comme l'eût fait le hublot brisé d'un avion. Loin, très loin, il y avait la ville - si loin que je doutais d'y avoir jamais mis les pieds. […] En vérité, il n'y avait dans ma tête aucune pensée, rien que la fascination pour le vide, par la baie vitrée. (7-8)

jusqu'au dernier moment avant de quitter définitivement la compagnie :

D'instinct, je marchai vers la fenêtre. Je collai mon front à la vitre et je sus que c'était cela qui me manquerait : il n'était pas donné à tout le monde de dominer la ville du haut du quarante-quatrième étage. […] Aussi longtemps qu'il existerait des fenêtres, le moindre humain de la terre aurait sa part de liberté. Une ultime fois je regardai mon corps tomber. Quand j'eus contenté ma soif de défenestration, je quittai l'immeuble Yumimoto. On ne m'y revit jamais. (173-174)

La relation du narrateur à la ville qui s'étend sous ses pieds se formalise, dans le récit, par cette scène de la baie vitrée, obstacle transparent qui laisse voir mais qui sépare de la réalité physique de la ville. Outre ses potentialités esthétiques, cette scène permet l'identification du lecteur, qui se substitue au narrateur et place, derrière la baie vitrée, ses propres représentations de Tokyo telles qu'elles ont été popularisées par les reportages sur la ville. Mais, en plus, elle agit comme une métaphore du statut de l'étranger au Japon, le gaijin (le non-japonais), présent physiquement, mais culturellement exclu de la société japonaise du fait de son origine. Jean-Philippe Toussaint, relatant les déambulation s de son narrateur dans un hôtel très luxueux de Tokyo, sacrifie également à la topique de la fenêtre sur Tokyo et du paysage en plongée :

Par delà les premières façades éclairées, c'était tout le quartier de Shinjuku qui étendait devant moi son profil d'ombres dans la nuit. On apercevait aussi bien sur la gauche de vastes zones horizontales presque complètement plongées dans les ténèbres que l'immense trouée de verdure noire, illisible et opaque, du Palais impérial, et jusqu'à la mer, à l'horizon, par-dessus Shimbashi et Ginza, l'appel du large et des embruns, la baie de Tokyo et l'Océan Pacifique dont les eaux noires se perdaient aux limites de l'acuité visuelle et de l'imagination. Je me tenais debout dans la pénombre devant la baie vitrée de la piscine au vingt-septième étage de l'hôtel, et, du haut de cet à-pic de près de deux cents mètres qui dominait la ville, debout sur ce promontoire privilégié, qui donnait de plain-pied sur le vide, je regardais Tokyo qui s'étendait à perte de vue devant moi, déployant sous mes yeux l'immense superficie de son agglomération illimitée. (48-49)

Les effets de résonance d'œuvre à œuvre ne sont pas de simples coïncidences : ils reposent sur une part de vérité et sont relatées comme des expériences réelles. C'est en cela que l'on peut les qualifier de stéréotypes, puisqu'ils forment un réseau d'images et de sens qui prennent leur source dans le réel, mais le concentre et en quelque sorte le remplace. Cette substitution excède la simple fictionnalisation : elle construit des lieux communs dans lesquels le lecteur peut se retrouver et qui deviennent, dès lors, le prisme de sa connaissance de Tokyo.

De la même manière que le paysage urbain devient topique littéraire, les éléments de ce paysage sont codifiés par le récit et, en passant de la macro à la micro-vision, la description littéraire affine le regard et se concentre sur des personnages-types. Comme le samouraï ou le moine zen des romans d'époque, le tokyoïte contemporain se reconnaît à son uniforme : costume du salaryman (l'employé de bureau) ou vêtements insensés et minauderies de la shojo (ou gyaru, la jeune fille, cette japonaise dont les looks exubérants sont la forme d'expression la plus radicale). Ces deux figures sont antithétiques (l'homme adulte hypernormé et la très jeune fille excentrique) et représentent les extrêmes de la société japonaise, dont le stéréotype veut précisément qu'elle soit fortement contrastée mais qu'elle mêle avec bonheur tradition et modernité.

Cependant, l'uniforme (ou au moins l'apparence vestimentaire) n'est pas le seul code identitaire permettant de fonder un type : un autre réservoir de figures est celui qu'offre la marginalité dans une société extrêmement collectiviste et standardisante. Cette vie en marge peut être volontaire, comme pour les désormais fameux yakuzas, les membres de la pègre japonaise (ces hommes tatoués qui se tranchent une phalange pour expier une faute envers leurs clan et qui détiennent le pouvoir sur les activités illicites : jeu, drogue, prostitution). Indissociables du monde de la nuit, les yakuzas forment, dans le genre du roman policier, un incontournable et présentent une alternative exotique à la maffia italo-américaine. Outre le fait qu'il est typiquement nippon, ce syndicat du crime répond aux mêmes critères d'organisation hiérarchique et de cohésion collective que la société japonaise, dont elle forme un miroir grossissant et déformant. Dans Un été japonais (Slocombe) ou Tokyo mirage (Rambach), les yakuzas sont également un moyen d'évoquer la collusion du milieu avec des groupes d'extrême-droite (les très puissants nationalistes japonais) et certains politiciens. La mise au ban de la société peut également être la survivance d'un ancien système de castes : ainsi, dans Tokyo des ténèbres (Moore) et Tokyo atomic ( Rambach), le lecteur français entend-il parler de la caste des burakumin, les exclus de la société japonaise : héritage des “ impurs ” qui exerçaient des métiers condamnés par le bouddhisme et le shintoïsme 3, le statut de burakumin est aujourd'hui également étendu aux immigrés, et son utilisation dans la fiction informe que l'idéologie japonaise se fonde sur l'unicité ethnique et la xénophobie. A l'inverse, si yakuzas et burakumin sont des groupes sociaux anciens, c'est une figure directement issue de la modernité et du malaise technologique qui fascine le plus l'Occident, celle de l'otaku. Signifiant “ votre maison ”, le terme otaku est appliqué, au départ, à des jeunes gens atteints d'une pathologie particulière : leur agoraphobie se complète d'une fascination pour l'écran, interface avec le monde virtuel. Leur enfermement est volontaire, ainsi que leur choix de ne plus vivre qu'à travers la médiation de l'ordinateur ou du téléviseur. Sa signification a évolué pour désigner une monomanie moins grave et sert à qualifier le passionné de culture médiatique nipponne. Ce sont cependant les cas pathologiques qui vont être mis en roman et devenir la figure clé de la modernité nipponne, un nouveau type humain avertissant du danger des nouvelles technologies et de la réalité virtuelle : dans Tokyo des ténèbres (Moore), le jeune otaku a tellement perdu pied qu'il devient une brute violente, agresseur de sa propre mère et finalement assassin.

Le rapport qu'entretient l'auteur francophone avec les décors et les personnages est ainsi un lien ambigu oscillant entre la fascination et la dénonciation des aspects les plus noirs. Il est tout de même remarquable que des visions romanesques et des arguments narratifs si différents donnent lieu à un tel consensus des représentations, que celles-ci soient issus de la littérature ou qu'elles soient prolongées ou précédées par des images filmiques.

L'emploi du terme “ fiction ” dans notre titre a une visée volontairement générale ; il s'agit de qualifier autant des images littéraires (descriptions romanesques) que des images filmiques et de souligner les liens que tissent ces images entre elles. Mieux, le terme d'image - ou représentation - renvoie à la fois à l'image visuelle et à l'image mentale et désigne l'iconographique comme support de développement de l'imaginaire japonisant en France. C'est donc à une circulation complexe qu'a affaire l'observateur qui veut démêler l'écheveau des images du Japon, et a fortiori de ce topos capital qu'est Tokyo, véritable nœud gordien du renouveau du goût japonisant en France. Nous retiendrons donc à titre d'exemplification et de développement certains films français récents, dont le plus représentatif de la fascination pour l'esthétique urbaine est Tokyo Eyes de Jean-Pierre Limosin. Et, car il faut rendre à César … on doit reconnaître le caractère original de ce film qui, en 1998, inaugure les nouvelles représentations de la ville japonaise : Tokyo y est un véritable personnage du film, au même titre que les acteurs, et la ville y est aussi centrale que la narration. Le titre nous annonce une vision de Tokyo et renvoie au principal personnage masculin, qui s'invente une fonction de redresseur de torts et joue à faire peur à des hommes avec un pistolet trafiqué : pour bien différencier sa personnalité de celle du justicier, il se cache derrière de grosses lunettes de myopes qui font office de déguisement, mais aussi, par leur correction importante, de verre déformant, et donc déréalisant pour le jeune homme. Mais Tokyo eyes , c'est également le regard éperdu, fasciné, que porte le cinéaste sur la ville qu'il choisit de filmer… à travers l'histoire d'amour, c'est une ode à la capitale nipponne que dresse Limosin. Il magnifie les décors urbains, multiplie les déambulations diurnes et nocturnes, caméra à l'épaule et images “ sur le vif ”, offrant une narration à double détente : la naissance d'un amour entre deux jeunes gens et la présentation d'une ville tentaculaire, sans cesse changeante et toujours mouvante. Parallèlement, Limosin propose la première vision romantique de l'otaku (son héros, concepteur de jeu vidéo, fuyant le monde réel, y reviendra pour l'amour d'une jeune fille) et contribue à forger une image sympathique du passionné de culture médiatique nipponne.

Plus directement lié à notre corpus littéraire, l'adaptation filmique du roman d'Amélie Nothomb par Alain Corneau est une transcription littérale du texte original : le réalisateur opère une mise en film de Stupeur et tremblements , et y adjoint non des scènes entières, mais certaines images. Ainsi, les scènes de défenestration de l'héroïne sont-elles interprétées comme un survol nocturne de la ville illuminée. L'ajout notable du réalisateur est une scène de foule où l'héroïne traverse les passages piétons géants de Shibuya : dans la transposition cinématographique, les représentations choisies par le cinéaste à titre d'illustration confirment la prégnance de ces codes communs de reconnaissance, et signalent le stéréotype 4.

Il y a là un véritable jeu intertextuel, la construction d'un réseau d'images et de sens des nouvelles représentations tokyoïtes qui entrent en résonance, se consolident et se confortent les unes les autres : le lu devient le vu, le raconté est attesté par l'image filmique, prise de vue certes “ réelle ” de Tokyo, mais fictionnalisé et donc vision partiale de la réalité japonaise : ces images, se corroborant les unes les autres, relèvent en fait plus de la vision française que de la réalité japonaise. En effet, c'est là une autre raison du choix du terme fiction : bien qu'ayant l'apparence du réel (la prise de vue du film ou la description littéraire n'usent d'aucun artifice et se présentent comme de simples transcriptions objectives, non comme des interprétations), toutes ces images, qu'elles soient littéraires ou filmiques, sont des visions (donc subjectives) du Japon : leur caractère récurrent, partiel et généralisant indiquent leur pleine fonction de stéréotype, c'est-à-dire de représentation commune du Japon à usage des Occidentaux.

Précisément, la caractéristique de nouveauté de ces images désigne l'émergence de formes inédites, mais non une originalité sur le fond. Le stéréotype du dualisme tradition/modernité japonais se voit renforcé et amplifié sur son versant moderne, voire futuriste, bien que les représentations propres d'Japon passéiste soient toujours d'usage. Le néo-japonisme n'est en cela que l'émergence de nouvelles topiques littéraires perpétuant, sur le fond, la même relation d'exotisme que le japonisme. En effet, comme le souligne le romancier et critique d'art Philippe Forest, dans un article pionnier sur le renouveau d'un engouement pour le Japon :

Cet imaginaire scindé détermine à un double titre le statut littéraire du Japon moderne : il conditionne le regard que des écrivains européens sont susceptibles de poser sur un pays dont ils font parfois le décor de fictions exotiques. (…) Autrement dit : il dicte et façonne les conditions de sa recevabilité, de sa lisibilité. (58)

Il y a donc une ambiguïté volontaire des auteurs montrant un Tokyo “ réel ”, intime même (les représentations artistiques étant présentées comme découlant d'une expérience personnelle de la ville japonaise) puisqu'attesté par une expérience vécue de la capitale. Le positionnement narratif du romancier (autofictionnel ou fondé sur des recherches à prétention sociologique et parfois des lectures savantes) ou la prise de vue du réalisateur assoient une légitimité et, plus qu'une vraisemblance, une vérité de la chose représentée. Or, dans leur constitution, leurs occurrences répétées et leur fonction sociale (offrir des référents communs sur le Japon), ces images de Tokyo forment un ensemble de stéréotypes exotiques, ethnocentrées, à usage de la sphère francophone. Pour reprendre le mot de Tzvetan Todorov, il s'agit d'une forme d'“ éloge de l'autre dans la méconnaissance ” (262). Bien que reposant sur des éléments réels, ces images minorent et oblitèrent la complexité et la réalité de la vie tokyoïte et ensemble, contribuent à inventer une forme contemporaine du mythe japonisant en France.


Notes:

1 Un autre point commun entre ces romanciers est l'aspect autofictionnel de leurs œuvres, où ils mettent en scène un narrateur disant je et dont les pérégrinations s'inspirent de voyages et d'expériences au Japon de leur auteur respectif .

2 Le titre générique renvoyant à Henry Miller ( La crucifixion en rose ) pour sa dimension érotique, et le nombre de volumes - quatre annoncés, dont trois titres parus pour le moment - à la très célèbre tétralogie de Yukio Mishima ( La mer de la fertilité ).

3 Tannage, travail de la peau, enfouissement des morts et des déchets.

4 Par ailleurs, hors de la fiction francophone mais agissant comme une consécration de toutes ces topiques, il faut signaler le film tokyoïte de Sofia Coppola, Lost in translation , où toutes ces scènes (la foule, les néons, la baie vitrée de gigantesque bâtiments) forment le décor d'absolue étrangeté où évoluent les deux personnages américains, désemparés par leur environnement et sans cesse rejetés dans la sphère de l'incompréhension.

Ouvrages cités:

Forest, Philippe. “ Post-japonisme ou néo-japonisme ? ”. Art press , novembre 2002: 57-58.

Moore, Viviane. Tokyo des ténèbres . Paris: J'ai Lu. 2002.

Nothomb, Amélie. Stupeur et tremblements . Paris: Albin Michel. 1999.

Rambach, Anne. Tokyo atomic . Paris: Pocket. 2003.

--- . Tokyo chaos . Paris: Pocket. 2002.

--- . Tokyo mirage . Paris: Pocket. 2004.

Slocombe, Romain. Averse d'automne . Paris: Gallimard. 2003.

--- . Brume de printemps , Paris: Gallimard. 2001.

--- .Un été japonais, Paris: Gallimard. 2000.

Todorov, Tzvetan. Nous et les autres. Paris : Seuil. 1989.

Toussaint, Jean-Philippe. Faire l'amour . Paris: Ed. de Minuit. 2002.

Lost in translation . Dir. Sofia Coppola. Perf. Bill Murray, Scarlett Johansonn. Euro space, Elemental films. 2004.

Stupeur et tremblements. Dir. Alain Corneau. Perf. Syvie Testud, Kaori Tsuji, Taro Suwa, Bison Katayama. Alain Sarde, Divali films, France 3 cinéma. 2002.

Tokyo eyes. Dir. Jean-Pierre Limosin. Perf. Shinji Takeda, Hinano Yoshikawa, Tetta Sugimoto, Takeshi Kitano. Euro space, Lumen film. 1998